Accoudé sur le comptoir, Adolys fixait le liquide brun dans son verre d’un œil absent. Il n’était pas de ceux qui noient leur chagrin, frustration ou bien encore colère dans l’alcool, bien au contraire. C’était un sportif fier de son corps et s’il désirait continuer à plastronner ses biceps avant tant de fierté, il avait tout intérêt à éviter de sombrer dans les substances à effet néfaste sur l’organisme. Ce qui était quelque peu contradictoire, puisqu’il était devenu accro, d’une certaine manière, à la nicotine. Boule de nerf, doté d’une impulsivité sans borgne, il n’y avait que cela qui le calmait momentanément et l’empêchait ainsi de se défouler sur la première personne qui croiserait son chemin. Il était comme ça, incapable de se contrôler, ce qui l’emmenait à utiliser ses poings plus souvent qu’il ne l’aurait dû, comme en témoignaient d’ailleurs les mus de sa maison sur lesquels il s’était plusieurs fois bousillé les phalanges, sans que cela le tranquillisât pour autant. Alors, pour éviter d’abîmer ses mains dont il était particulièrement satisfait –comme le reste de son anatomie à vrai dire-, il investit dans un sac frappe qu’il devrait songer à changer sous peu au vu de son utilisation récurrente. Il s’était encore jeté dessus pas plus tard que quelques heures avant de venir prendre place dans ce lieu dont il méprisait cordialement les occupants. Selon lui, il n’y avait pas pire vermines que ceux qui optaient pour la solution de facilité, l’oubli, n’ayant pas assez de couilles pour faire face à leur problèmes, tout comme ceux qui préféraient se plaindre à longueur de journée au lieu de prendre le taureau par les cornes et faire quelque chose pour améliorer leur quotidien qu’ils jugeaient misérables. L’on n’avait que ce que l’on méritait, c’était connu. Chaque action entraînait une réaction et il était certain que si l’on ne s’activait guère, rien ne changerait, de quoi nous donner matière à nous plaindre d’avantage.

En matière de conséquences, de karma, Alodys s’y connaissait très bien après tout son comportement, sa suffisance, son égocentrisme et tant d’autres choses qui le rendaient si détestable aux yeux des autres et dont il en était pourtant très fier, avait attiré sur lui le rejet des autres. Bien trop parfait pour être accepté, vous dira-t-il sans doute. Il aimait à se considérer comme la perfection, ce qui était quelque peu légitime puisqu’il excellait dans tout ce qu’il accomplissait, obtenait de très bon résultats à l’école, possédait un physique digne de dieux grecs que l’on vous décrivait volontiers dans les livres sur la mythologie, était doté d’un grand bagage culturel, doué en sport…la question était de savoir quel domaine lui échappait encore.

Sûrement les sentiments. Il n’avait jamais ressenti quoi que ce fut, pour qui que ce fut. Enfin, jusqu’à très peu, n’est-ce pas ? Etait-ce pour cette raison qu’il se permettait de chambouler ses habitudes de la sorte ? Etait-ce pour cela que ses poings en pâtissaient plus qu’à l’accoutumée ? Etait-ce aussi pour cela que les filles s’enchaînaient, les unes après les autres, dans son lit ? Etait-ce encore pour cela qu’il était aussi en colère ? Frustration, rage, dégoût, irritation, emportement, impatience, ressentiment, sentiments aussi puissant que destructeurs qui ne parvenaient à trouver un équilibre dans son être afin de cohabiter paisiblement. Comment l’auraient-ils pu d’ailleurs ? Adolys ne connaissait pas la tranquillité d’esprit. Tel un volcan, il donnait l’impression de pouvoir exploser à tout instant. C’était de sa faute, s’il n’avait plus aucune maîtrise sur rien, non pas que ce fut le cas avant, néanmoins, il parvenait encore contrôler quelques aspects de son existence alors que maintenant tout semblait lui échapper, ce qui avait le don de le rendre dingue. Marvel. Son cœur rata un battement. Le simple fait de songer à son prénom provoque en lui des sensations qu’il n’aurait jamais soupçonnées. Un mec, c’était le comble. Certes, les filles avaient qu’il s’amusait à faire crier ne lui faisaient que très peu d’effet –pas du tout même- mais de là, à être…gay, c’était tout bonnement impensable. Pourtant les faits étaient bien là. Son ami lui faisait bien plus d’effet que toutes ces pouffiasses qu’il ramassait chaque nuit. Combien de fois son regard ne s’était-il pas égaré sur les lèvres de ce dernier une fois celui-ci endormi ? Combien de fois n’avait-il pas été sur le point d’y poser doucement les siennes, se reprenant la dernière seconde ? Combien de fois ne s’était-il pas assener de gifles mentales afin de se remettre les idées au clair ? C’était sans aucun doute là, la cause de son énervement premier mais bien sûr si vous lui aviez posé la question, il répondrait que sa mère en était la cause. Génitrice autoritaire qu’il craignait et dont il avait fini par se détacher. Toutes les occasions étaient pour qu’elle l’accuse de tous les maux du monde, la seconde serait sa sœur qui n’était guère mieux que leur mère et pour finir toutes personnes incapables de supporter le fait qu’il leur soit supérieur, mettant tout en œuvre pour lui faire mordre la poussière. Croyiez-vous sincèrement qu’il reconnaitrait que c’était cet amour mêlé à sa fierté qui le faisait prisonnier de cette colère sans cesse croissante ? Que c’était l’ignorance, l’aveuglement de Marvel qui le rendait ainsi ? Il attendait désespérément que ce dernier fît le premier pas mais il n’en était rien, alors cela l’énervait plus encore et il allait déverser sa frustration entre les jambes d’une fille facile. Un véritable cercle vicieux. En parlant de cuisses légères, une blonde vint d’ailleurs s’installer à sa droite. Décolleté plongeant, sourire enjôleur, battement de cils, ah, si elle savait à quel point cela le dégoûtait plus que ne l’attrayait, elle ne ferait pas tant d’effort. Il se tourna vers elle. Les festivités étaient lancées. Elle lui dit son prénom. Il sourit légèrement. Il ne s'en souvenait déjà plus. Une énième qui repartira le lendemain la mine dépitée.